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ACTEURS DU LOUXOR avec VIRGINIE LAURENT

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Photos © Virginie Laurent

La caméra est en place. Un bref panoramique balaye le carrefour Barbès avant de fendre la foule où s’entremêlent les couleurs de la ville. Affiches déchirées, boubous chatoyants, costumes gris et sacs à rayures multicolores. Il est 17h. Le téléphone sonne, alors que nous sommes dans l’axe du Louxor nouvellement décoré d’une exposition de portraits… une jeune femme apparaît à l’écran, en voix off, “ah je vous vois !”. Virginie Laurent est photographe. Elle a réalisé de janvier à mai, pour la Ville de Paris, une série de diptyques. 10 portraits d’ouvriers du Louxor accompagnés de photos du chantier. Cette série est exposée depuis peu sur les palissades d’un Louxor qui se dévoile jour après jour (ici). Virginie nous raconte ici son travail au cœur du chantier, ses rencontres avec Le Président, Danny Brillant ou encore Snoop Dog et évoque plus largement sa démarche de photographe, en prise avec les clichés, travaillée par le régime de la visibilité. Rencontre.

Comment avez-vous rencontré le Louxor ?

Virginie Laurent : J’ai exposé au CENTQUATRE avec Jeune Création (ici), une association, dont je fais aujourd’hui partie, qui promeut les jeunes créateurs contemporains. Nathalie Viot, conseillère pour l’art contemporain de la Ville de Paris était membre du jury, elle a repéré mon travail puis m’a contacté pour me proposer un rendez-vous avec la Mission cinéma. Le cahier des charges était assez ouvert, on veut 10 portraits des ouvriers du Louxor. Ma première idée était de rendre aux ouvriers ce qu’ils avaient amené au chantier. Le Louxor est une salle de cinéma où beaucoup d’histoires vont se projeter, ces ouvriers ont contribué à ce processus et cette histoire de cinéma, je souhaitais, qu’ils se réapproprient à la fois le cinéma et le lieu, tout en mettant en valeur cette dimension humaine afin de rappeler qu’un chantier c’est d’abord un investissement humain.

C’est avant tout une histoire de rencontres…

Dans mon travail, la notion de rencontre est centrale, j’aime aller vers des gens et des lieux que je ne connais pas et qui ne sont pas de mon milieu. Le plus souvent ce sont des communautés fermées, des religieuses, des migrants… des personnes sujettes à des a priori que je mets d’emblée de côté. Tout comme pour le chantier du Louxor. Je connais bien le milieu des travailleurs, mon père est ouvrier, je voulais apporter une autre vision que celle généralement véhiculée sur le monde ouvrier. J’ai commencé à travailler l’hiver dernier alors qu’il faisait excessivement froid à Paris, il faisait -15 c°. Les ouvriers m’ont vu arriver frigorifiée, jeune femme, au milieu d’hommes. Les rares présents m’ont immédiatement pris sous leur aile, ils ont tous été adorables et prévenants avec moi. Ce grand froid a tout de suite permis de poser les bases d’une collaboration chaleureuse !

Comment se sont déroulées les prises de vue avec les ouvriers ?

Je leur ai tout d’abord expliqué la démarche en leur indiquant que j’allais réaliser des portraits des acteurs du chantier. J’ai observé longuement leurs attitudes et leurs gestes au travail. Ensuite, tout est une question de rencontre. Il y a des gens avec lesquels vous savez que rien ne sera possible alors que l’on sent qu’il y a un bon potentiel, et d’autres qui se prêteront volontiers au jeu sans que toutefois cela donne quelque chose d’intéressant. La réussite d’un portrait, c’est toujours la conjonction de plusieurs éléments. J’ai commencé par leur demander quel était leur genre de film préféré, puis d’imaginer qu’ils en sont les personnages. Je leur ai proposé de poser, mais il ne s’agissait pas pour eux d’enfiler un costume.

Les ouvriers ont fait des propositions ?

Oui, par exemple, la photographie du gardien, qui n’est pas dans la sélection, lui, aimait les films sur la finance ! C’était très drôle et décalé son intérêt pour Wall street. Il a posé dans sa cabine comme s’il était un grand chef d’entreprise assis à son bureau ! Au fil des échanges, les ouvriers se sont pris au jeu des attitudes, du lieu et de son lien avec le cinéma. L’ensemble est le fruit d’une longue observation et d’échanges. On s’est vraiment amusé à réaliser ces portraits !

Et l’articulation de ces corps avec le décor… ?

Outre les portraits, les photos du chantier, il y a des photographies des ouvriers en action. Il y a un déplacement du contexte, à observer cette scène c’est presque une scène de danse avec ses mouvements et ses gestuelles, on est dans un rapport très graphique à l’espace. J’ai observé ces ouvriers lissant le sol durant deux heures, j’ai ensuite cherché l’équilibre des masses et des formes pour articuler la composition. C’est une réappropriation de la mise en scène que de suivre et capter ces mouvements. Vous allez trouver ça très étonnant, mais j’ai imaginé pour cette photo une scène de Dirty Dancing ou encore un film avec Gene Kelly !

Quel a été le déclic, le lien entre ces images ?

Tout est d’abord parti des lumières. C’est important. J’ai commencé par faire quelques images d’intérieur et c’est après avoir trouvé que la lumière était un élément consubstantiel du décor que j’ai entrepris de faire les portraits, j’avais trouvé le cadre du hors champ pour réaliser ces compositions.

Ce décor, ces mouvements composés avec les portraits, l’ensemble s’est construit au fil de votre travail…

Oui, cette articulation s’est imposée d’elle même au fil de la réalisation des images, bien que la question de la mise en scène dans le documentaire est très présente dans mon travail. J’aime l’idée de la composition alliant l’aspect graphique du chantier et sa dimension humaine. J’y suis très sensible. Le chantier est devenu décor et les ouvriers des personnages. Ces photos d’intérieur manient la profondeur de champ, les angles droits, la possibilité d’une composition en strates mais aussi les différentes formes, matériaux et éclairages. De plus, le rapport des masses entre l’intérieur et l’extérieur me plaisait. La proximité du chantier avec la rue me fascinait, on était dans un microcosme autour duquel s’agitait le bazar de la ville.

Vous avez été sensible au fait de travailler sur le chantier d’une salle de cinéma ? Vous en avez parlé avec les ouvriers ?

Oui, c’est un chantier qui leur plaît beaucoup. il s’y dégage une atmosphère particulière. C’est une salle de cinéma unique. Je crois beaucoup à la circulation des énergies dans les espaces. Ça n’a rien de mystique, entendons-nous, mais je pense qu’il y a des lieux dans lesquels on se sent bien et d’autres moins. Cela dépasse son côté historique ou patrimonial, c’est un lieu dans lequel on circule bien, bien que ce soit un labyrinthe, mais c’est un labyrinthe ouvert, on ne se sentait pas oppressé dans cet endroit. J’ai travaillé sur plusieurs chantiers, c’est la première fois que je ressens une atmosphère de travail aussi positive. D’ailleurs, je suis lassée de l’image de l’ouvrier souffrant au travail, de l’incarnation permanente du labeur par la souffrance, parce que ce n’est pas l’image que j’en ai moi. Je ne souhaitais pas que l’on réduise les travailleurs à cela. Je pense aux images pesantes sur le travail d’August Sander, un photographe que j’affectionne particulièrement, ou encore Lewis Hine ou la FSa sur le même sujet. Cette représentation qui est faite de l’ouvrier est réduite à la souffrance, certes, cela existe, mais ce n’est pas que cela. Il ne faut pas oublier que derrière le travail, il y a des travailleurs, et la simple idée de leur proposer une image d’eux qui ne soit pas une image de souffrance mais une approche positive de leur travail me semblait intéressante, d’autant que cela prenait, une fois de plus, à contre pied le cliché.

Dany Brillant

Tout le monde l’appelait Dany Brillant ! je ne sais pas pourquoi… lors de la prise de vue il bricolait des branchements électriques. Il y avait un gros spot de lumière derrière lui. La lumière en arrière plan et son sourire en coin lui donnait un côté intrigant, l’ensemble était très inspirant… du coup l’idée du portrait est venue assez vite une fois la composition assemblée.

On est dans le cinéma de genre, l’épouvante…

Oui clairement !

Paris-Montmartre, carte postale

Cet ouvrier je l’ai croisé à de nombreuses reprises sur le chantier. Nous cherchions une idée, on a mis du temps avant de la trouver. Il souhaitait poser avec Montmartre derrière lui.

Son idée du cinéma était celle de la carte postale…

Oui tout à fait, il voulait montrer à ses enfants qu’il travaillait non loin du Sacré Coeur, dans le quartier d’Amélie poulain, du coup j’aimais bien l’idée de la carte postale…décalée.

… Et c’est l’une des rares photos prise de la terrasse du Louxor où il n’y a pas l’emblématique Tati en arrière plan, c’est étonnant, Tati c’est Barbès.

Oui, c’est Barbès, mais pour lui le cinéma, c’est Montmartre ! Et Tati est beaucoup trop signifiant pour une “carte postale” ! C’est pourquoi son casque cache l’enseigne… je préférais que l’on soit dans un univers en décalage avec l’idée que l’on se fait du lieu de la prise de vue.

Jedi

Mon Jedi ! Lui, tout le monde l’appelle Président…parce qu’il s’appelle Kennedy ! Il collait ses bandes de plâtre, je n’avais pas d’idées précises, on a cherché, fait des essais, la représentation du cinéma n’était pas si évidente que cela dans nos échanges. il y avait un geste, mais pas de volonté délibérée de s’inscrire dans une attitude cinématographique…

… et pourtant, c’est une image très signifiante cinématographiquement parlant !

Oui ! le chemin et le résultat sont très drôles.

Snoop Dog

Snoop dog ! Ce qui est amusant c’est que c’est une personne très réservée, et je lui ai dit tu ressembles vraiment au rappeur Snoop dog… oui ma fille me le dit tout le temps me répond-t-il, du coup on est parti sur cette idée et l’on s’est amusé, avec les immeubles et les graffitis en arrière plan, à faire des pochettes d’album de rap!

Il y a également le personnage de comédie, du burlesque…

ou encore le romantique.

Votre travail de photographe s’attache à briser les clichés…

J’ai pour habitude de m’intéresser à des questions médiatisées dont les sujets sont stigmatisés, je vais à leur rencontre et j’essaye d’apporter un regard dénué d’a priori, afin de casser les stéréotypes. Je fais aussi en sorte d’impliquer le spectateur et de leur proposer une rencontre plus intime avec les sujets.

Lorsque j’ai travaillé sur la question des migrants clandestins, les photos s’intéressaient aux traces du passage des migrants. J’ai commencé par réaliser leurs portraits, puis j’ai vite fait le choix de ne garder que les traces de leur passage. Ce qui m’intéressait c’était justement ces absences et plus globalement l’absence de considération. Mais aussi de convoquer chez le spectateur une réflexion sur ces disparitions qui commence en premier lieu par l’absence de visages, de manière à ce que chacun s’interroge, par le vide, sur leur disparition, leur identité, leur vie.

Parallèlement à cela j’ai réalisé des entretiens avec les migrants, de manière à ce que l’absence de leurs corps soit habitée par la parole, je me suis également interrogée sur la représentation et le traitement réalisé par la presse sur le sujet.

J’ai souhaité garder une trace éditoriale de ce travail sur les migrants. J’essaye, tant que faire se peut, de penser l’édition lorsque je me lance dans un projet d’exposition. Par exemple, pour ce projet No Man’s land, la couverture de l’ouvrage était blanche, avec des lettres gauffrées. J’ai souhaité que la présentation du livre même révèle cette absence, par le graphisme et la mise en page. J’essaye d’aller au bout dans ma démarche. Là, il s’agissait de travailler sur le vide et le plein. Les vides de la lettre créent la lettre. J’ai d’ailleurs créé une typo spécialement pour ce projet. La mise en forme de la photo est pour moi fondamentale, ce qui est important, ce n’est pas seulement la photo, mais tout autant la manière dont on la donne à voir.

Rendez-vous est donné, hors champ, pour poursuivre nos échanges sur la question du vu, du visible et de l’invisible, du texte de Jean-Toussaint Desanti, Voir ensemble ainsi que d’Antonioni et de Mallick. A suivre.

Rencontres de Jedi _ Les photographies de Virginie Laurent sur la palissade du Louxor © PARIS-LOUXOR

Site internet de Virginie Laurent (ici)
Projets évoqués : La caravane passe (ici), No Man ‘s Land (ici) ou encore Bénédictines (ici).


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